Chapitre 1A3 : L’inéluctable évolution des génomes au sein des populations

L’évolution du génome des individus conduit à l’évolution d’une population. On nomme évolution les modifications de la composition génétique des populations au cours des générations. Comment les génomes des populations évoluent-ils ? On s’intéressera à la génétique des populations, qui aboutit éventuellement à la formation de nouvelles espèces, ou spéciation.

Voir ch.3.1 La biodiversité et son évolution (Tle enseignement scientifique) et ch1B3 Les forces évolutives et ch.1B4 La communication intraspécifique et la sélection sexuelle en 2e

I. Génétique des populations : stabilité et évolution

Le modèle théorique de Hardy-Weinberg décrit l’évolution de la composition génétique des populations eucaryotes à reproduction sexuée. Elle permet de dégager 2 situations : la stabilité génétique d’une population, et l’effet des forces évolutives sur l’évolution de la composition génétique des populations. 

A.   L’équilibre de Hardy-Weinberg

Au cours du temps, dans une population eucaryote théorique de grand taille dans laquelle il y a panmixie (= reproduction aléatoire de tous les individus entre eux), le modèle mathématique de Hardy-Weinberg utilise la théorie des probabilités pour décrire le phénomène aléatoire de transmission des allèles dans une population. En assimilant les probabilités à des fréquences pour des effectifs de grande taille d’après la loi des grands nombres, le modèle prédit que la stabilité des fréquences relatives des allèles dans une population d’une génération à l’autre sous certaines conditions (absence de migration, de mutation et de sélection ou de dérive, reproduction aléatoire entre les individus) : les fréquences relatives des allèles dans la population restent stables au cours du temps. Cette stabilité théorique est connue sous le nom d’équilibre de Hardy-Weinberg. 

Démonstration : Le génotype correspond aux 2 allèles portés par un individu, l’un provenant du gamète de l’organisme paternel, l’autre du gamète de l’organisme maternel. Dans une population, pour un gène à 2 allèles A et a, les individus sont de génotype (AA), (Aa) ou (aa). On note dans la génération n d’une population : 

  • N le nombre d’individus de la population
  • n(AA) le nombre d’individus de génotype (AA) et f(AA) la fréquence des individus portant les allèles (AA) dans la population ; f(AA) = nombre d’individus de génotype (AA) dans la population / nombre d’individus total de la population = n(AA)/N
  • n(Aa) et f(Aa) le nombre et la fréquence des individus portant les allèles (Aa) dans la population ; f(Aa) = n(Aa)/N.
  • n(aa) et f(aa) la fréquence des individus portant les allèles (aa) dans la population ; f(aa) = n(aa)/N.
  • p la fréquence de l’allèle A dans la population : p = nombre d’allèles A dans la population / nombre d’allèles totaux dans la population. Sachant que les individus (AA) possèdent 2 allèles A, et les individus (Aa) possèdent un seul allèle, et qu’il y a 2 fois plus d’allèles que d’individus dans la population : p = [2 n (AA) + n (Aa)]/ 2N
  • q la fréquence de l’allèle a dans la population ; q = [2 n (aa) + n (Aa)]/ 2N

Par définition, comme il n’y a que 2 allèles, p + q = 1

On peut alors calculer la fréquence de chaque allèle à partir de la fréquence des génotypes (=ensemble des allèles) des individus si on connaît le nombre d’individus de chaque génotype : 

  • la fréquence de l’allèle A est de p = 2 n(AA)/2N + n(Aa)/2N f(AA) + f(Aa)/2
  • la fréquence de l’allèle a est de q = 2 n(aa)/2N + n(Aa)/2N f(aa) + f(Aa)/2
  • q + p = 1 car il n’existe que ces 2 allèles donc 100% des possibilités ont été envisagées.

 Si l’équilibre de Hardy-Weinberg est respecté, alors ces individus produisent des gamètes mâles et femelles portant chacun un allèle A ou a à la fréquence p ou q. 

On réalise alors un tableau de croisement dans lequel on pose les allèles des gamètes mâles et femelles en tête de lignes et de colonnes, on indique les fréquences pour chaque allèle et on multiplie les fréquences entre elles pour trouver la fréquence des génotypes :  

gamète mâle/femelle(A) p(a) q
(A) p(AA) p2(Aa) pq
(a) q(Aa) pq(aa) q2
Tableau de croisement

La fréquence f des génotypes dans la population à la génération suivante n+1 est de : 

f (AA)(n+1) = p2

f (Aa) (n+1) = 2pq

f (aa) (n+1)  = q2

Dans cette génération n+1, les allèles A et a sont à la fréquence : 

p(n+1) = f(AA) + f(Aa)/2 = p2 + 2pq/2 = p2 + pq. 

Or, q = 1 – p, donc, en replaçant q par 1 – p, l’équation devient : 

p(n+1) = p2 + p(1-p) = p2 + p – p2 = p

On montrerait de même que q(n+1) = q

Donc, si les conditions de Hardy-Weinberg sont respectées (donc pour une population de grande taille et pour un gène qui n’est soumis à aucune force évolutive), la fréquence des allèles est stable au cours des générations, et les fréquences calculées correspondent aux fréquences théoriques. 

B.   Les forces évolutives

Les écarts entre les fréquences observées sur une population naturelle et les résultats du modèle s’expliquent notamment par les effets des forces évolutives 

  • la mutation : elle fait apparaître un nouvel allèle qui n’existait pas avant si elle se produit dans les cellules germinales et est transmise aux générations suivantes. 
  • La sélection naturelle : elle diminue la fréquence d’un allèle moins avantageux = favorable pour la survie et/ou la reproduction de l’individu car les individus porteurs de l’allèle désavantageux ont une survie et/ou une reproduction réduite, et donc leur fréquence diminue (et réciproquement). 
  • les préférences sexuelles (sélection sexuelle) : le succès reproducteur de certains individus est augmenté par certains caractères même si ça ne favorise pas sa survie. De là, les individus porteurs de l’allèle ont une descendance plus nombreuse, et la fréquence de l’allèle sélectionné augmente. L’autofécondation chez les plantes à fleurs peuvent aussi limiter les échanges génétiques. De plus, il n’y a plus de panmixie, mais formation de sous-groupes. 
  • la dérive génétique : elle fait varier au hasard la fréquence d’un allèle ayant peu d’impact sur la survie et/ou la reproduction de l’individu et qui n’est donc pas ou peu soumise à la sélection naturelle. Son effet est plus fort dans les populations de petite taille.
  • la migration : certains individus se déplacent vers une autre région de façon permanente. Si ce groupe comporte une fréquence d’allèles différente de la population initiale, la fréquence des allèles dans la population restante est modifiée. (La recherche de nourriture n’est pas une migration, c’est l’étendue du territoire). 

Toutes ces forces font varier les proportions des différents allèles et peuvent déplacer l’équilibre de Hardy-Weinberg voire amener un allèle à disparaître. Un écart de fréquence des allèles par rapport aux proportions théoriques calculées avec le modèle de Hardy-Weinberg traduit donc qu’une force évolutive s’exerce sur la population.  

Ex: dans l’anémie falciforme humaine, la fréquence anormalement élevée de l’allèle responsable de la maladie dans les régions où le paludisme a une forte prévalence s’explique par l’avantage que confère aux hétérozygotes (HbS/HbA) l’allèle HbS responsable de l’anémie falciforme dans la survie à la maladie du paludisme: ici la sélection naturelle déplace l’équilibre en favorisant la survie des hétérozygotes.

https://www.lumni.fr/video/charles-darwin-la-selection-naturelle

II. Évolution des populations et des espèces 

A.   L’évolution des populations

L’environnement abiotique (non vivant, ex : pollution et noircissement des troncs pour la phalène du bouleau) et biotique (êtres vivants, ex : prédation) est en constante évolution. De ce fait, les allèles sont soumis à une pression de sélection variable au cours du temps, avec un caractère qui peut devenir défavorable lorsque l’environnement change (ex : forme claire de la phalène du bouleau désavantageuse en milieu pollué et avantageuse en milieu non polluée). Les populations évoluent donc génétiquement au cours du temps et dans l’espace, par sélection naturelle et dérive génétique. Elles se différencient génétiquement au cours du temps. 

B.   L’évolution des espèces

La différenciation génétique des populations peut aboutir à la formation d’une nouvelle espèce, ou spéciation, en limitant les échanges réguliers de gènes entre différentes populations. En effet, on définit classiquement une espèce comme un groupe d’individus interféconds capables de donner naissance à une descendance fertile dans des conditions naturelles. Une autre définition d’une espèce peut donc être un groupe d’individus qui échangent des gènes entre eux par reproduction sexuée. Rq : cette définition ne fonctionne pas pour une espèce qui se reproduit de façon asexuée ou par autofécondation.

De nouvelles espèces peuvent donc se former par l’isolement reproducteur qui limite ou empêche les échanges génétiques entre 2 populations, même si elles sont réunies. Cet isolement reproducteur peut être dû à un isolement : 

  • Géographique : c’est la spéciation géographique par séparation de 2 populations par une barrière naturelle (fleuve, montagne,…) suite à une migration par exemple (ex : souris de l’ile de Madère, pouillot verdâtre). Pendant cette séparation, des différences génétiques, comportementales (ex : pouillot verdâtre et sélection sexuelle) s’accumulent, et limitent ou empêchent la reproduction entre les groupes
  • Génétique : des mutations, des modifications génétiques empêchent la reproduction de 2 espèces entre elles même lorsqu’elles sont dans le même milieu (ex : souris de l’île de madère Belin, ex : le sens de la coquille d’escargot est dû à un allèle, la reproduction n’étant possible qu’entre escargots ayant une coquille de même orientation),

Elle est due à : 

  • la mutation (apparition d’un nouvel allèle, ex : le sens de la coquille d’escargot est dû à un allèle, la reproduction n’étant possible qu’entre escargots ayant une coquille de même orientation), 
  • la dérive génétique (ex : souris de l’île de madère Belin),
  • la sélection naturelle (ex : escargots et serpents de l’île de Java LLS 2e, faiblesse des hybrides : les ligres ont un système immunitaire plus faible, ce qui fait que les hybrides sont désavantagés dans la population et qu’ils ne constituent pas un flux de gène important ; les ) 
  • la sélection sexuelle (ex : pouillot verdâtre). 
Spéciation géographique (Ring Species): le Pouillot verdâtre

C.   Les apports du séquençage génétique dans l’étude des espèces

Le séquençage génétique permet de mesurer avec plus de précision les flux de gènes entre différentes populations. Dans certains cas, le séquençage remet en cause des conceptions bien ancrées : certaines populations que les scientifiques pensaient homogènes sont en réalité constituées de sous-populations isolées depuis plusieurs centaines de milliers d’années, et ne constituent pas une mais plusieurs espèces lorsqu’ils ne sont plus interféconds avec une descendance fertile (ex : les éléphants d’Afrique). 

Au contraire, les analyses génétiques révèlent parfois des hybridations plus fréquentes entre des individus appartenant à des groupes considérés comme des espèces différentes (ex : les flux de gènes entre Néanderthaliens et sapiens montrent que les limites entre deux espèces sont difficiles à définir les félins relativement interféconds en captivité mais beaucoup plus rarement dans la nature ; les loups et les chiens,…).

La notion d’espèces est donc parfois difficile à définir lorsque la spéciation est incomplète avec l’existence d’hybrides, ou qu’il existe des modalités de reproduction qui limitent l’échange des gènes comme l’autofécondation.

Conclusion

Les populations évoluent donc de façon inéluctable sous l’effet des forces évolutives, en raison de la modification permanente des facteurs abiotiques et biotiques de l’environnement. Cette évolution des espèces aboutit éventuellement à la formation de nouvelles espèces qui n’échangent pas ou peu de gènes entre eux, par spéciation. Toutes les espèces apparaissent donc comme des ensembles hétérogènes de populations, évoluant continuellement dans le temps au niveau génétique.